Nombre total de pages vues

jeudi 8 décembre 2016

Dieu et dieux : la divinité au masculin



Dieux uniques et Pères de tout

Lorsque l’on pense à une divinité masculine, à moins de connaître un minimum les panthéons et les mythologies, les premières images sont celles des dieux uniques (Allah, Yaveh, Dieu) ou celles de divinités toutes puissantes (Zeus, Odin, Jupiter, Brahma, Râ) qui décident du sort du monde depuis leur lointain nuage ou leur lointain palais. Des êtres implacables qui se jouent des pauvres mortels, des pères qui ne se soucient de leurs enfants que pour les punir de s’éloigner du bon chemin et ne pas les adorer à leur juste mesure.



Cependant, en y regardant de plus près, de telles figures semblent caricaturales. Si tant est que des puissances «supérieures» existent, pourquoi agiraient-elles telles des humains capricieux et susceptibles ? Un argument logique jaillit alors : ces êtres immatériels (voire anciennement matériels selon les conceptions) ont été détournés pour satisfaire les besoins et asseoir le pouvoir de certains humains. De la même façon, ces visions proviennent d’humains et donc de limites humaines à la compréhension de vérités subtiles.

Ainsi que le soulignent de nombreux auteurs, telle Deanna J. Conway, les patriarcats et les sociétés masculines n’ont pas seulement déformé l’image du féminin sacré, ils en ont fait autant pour celle du masculin. A partir de ces constats, aucune image ne peut être admise comme totalement objective et sûre. Néanmoins, au travers de différentes cultures, nous pouvons retrouver des symboles, des histoires qui, si elles ne sont pas véridiques, constituent des portes vers la compréhension des anciennes conceptions.

Masculinisation progressive de l’androgynat

Ainsi de nombreuses cultures et de nombreuses religions parlent d’un tout, d’une Source divine. On s’aperçoit en se penchant sur ces différents corpus et en lisant à travers les lignes que ce principe universel n’est pas nécessairement sexué (tel l’esprit universel des druides). Il le devient en s’exprimant en tant que principe créateur, en manipulant la forme et la matière, se partageant en deux forces polarisées (le feu et la glace chez les nordiques ; la grand-mère et le grand-père des origines Wakan et Skan chez certains amérindiens, etc).

Il semblerait que pendant une longue période de l’humanité, ce fut la grande Déesse qui était considérée comme l’origine, la source de toute vie. Le principe originel de l’androgyne était donc à moitié gommé même si une place était reconnue au masculin (quoique secondaire).

Dans les religions dites «monothéistes», ce principe originel ne paraît pas avoir été sexué au commencement. Certains raccourcis ont très probablement été pris pour faciliter d’une part la compréhension aux contemporains de ces époques, d’autre part pour les raisons citées avant.

Malgré la logique montrant la femme (et donc le féminin) à l’image de la vie (en portant, enfantant et nourrissant des enfants, en vivant selon ses propres cycles), il est plus que probable que nombre d’hommes (et de femmes), les sentant incomplets, n’aient pas trouvé leur vérité dans des cultes majoritairement féminins. Ce premier déséquilibre aurait donc pu entraîner une recherche vers l’autre extrême.


Mise en lumière d’une seule partie du couple divin
Ce passage a priori progressif se serait donc axé de plus en plus sur le seul principe masculin. En s’éloignant du féminin, les sociétés ont coupé leur cordon ombilical tout en plongeant dans le déséquilibre. Les anciens dieux qui régnaient de pair avec les déesses ont pris progressivement le pas sur elles. Puis se sont eux-mêmes singularisés en deux extrêmes, perdant la richesse et la profondeur de leurs différentes facettes. Ne résida alors plus que le bien et le mal, tous deux illustrés par des figures masculines (notons au passage que les femmes furent souvent associées au mal mais n’ont pas souvent été considérées assez dignes pour diriger cette catégorie.)

Dieu pluriel : les facettes du masculin sacré
Dans de nombreuses anciennes religions, les divinités masculines présentaient de nombreux visages. Nous pouvons remarquer certaines facettes récurrentes d’une culture à l’autre.

Dieux amants et fertiles : Adonis, Angus, Dagda, Apollon, Attis, Eros, Freyr, Priapus, Shiva, Tammuz, Thor... Autant de figures masculines tournées vers l’amour sous tous ses plans (spirituel, sentimental et physique). Des divinités qui célèbrent leur corps sans honte ni pudeur. De l’amant tantrique au poète mystique, ces êtres mythiques incarnent à la fois la sensibilité et la virilité dans ses aspects les plus matériels.

L’artiste, le forgeron ou l’artisan : Angus, Apollon, Bragi, Gobniu, Héphaïstos, Lugh, Orphée, Ptah, Vulcain, Wolund... Quelle que soit leur apparence (magnifique ou charismatique pour les artistes ; repoussante ou grossière pour les forgerons), ces êtres excellent dans leurs domaines en allant puiser au fond d’eux-mêmes le talent puis en l’exprimant avec art, illustrant l’énergie qui affine et précise pour mettre en lumière quelque chose de précis.

Le guerrier : Arès, Camulos, Mars, Indra, Krishna, Nuada, Odin, Teutatès, Thor, Tyr... Au-delà de l’image du dieu violent, c’est celle du guerrier spirituel que l’on peut retrouver : un être capable de maîtriser ses énergies et de s’engager pleinement sur son chemin. Le guerrier est celui qui contrôle sa force et sait faire preuve de courage pour avancer dans sa vie.



Selon les éléments :

Dieux forestiers (Terre) : Cernunnos, Faunus, Herne, l’homme vert, Marduk, Merlin, les rois houx et chêne... A l’image des dieux amants, ils personnifient la fertilité masculine dans sa dimension instinctive. Ces êtres symbolisent aussi la part d’ombre et de mystère tapie au sein de la forêt ainsi que le courage d’aller à sa rencontre.

Dieux des eaux (Eau) : Aegir, Dagda, Mannanan MacLlir, Neptune, Njord, Poséidon, Shiva, Varuna... Ici les dieux se trouvent liés à un élément considéré majoritairement comme féminin. Si certains en expriment la bienveillance (tel le «bon» Dagda), d’autres manifestent son aspect destructeur. Les uns comme les autres incarnent la maîtrise de soi tout en représentant des forces en apparence incontrôlables.

Dieux du ciel (Air) : Dieux Ases, Belenos, Brahma, El, Taranis, Teutatès, Zeus... Ici nous retrouvons des images proches de celle des dieux uniques et distants. Ces derniers gouvernent et rendent justice depuis le haut et nous exhortent à prendre de l’altitude pour pouvoir considérer avec sagesse toute situation.

Dieux solaires (Feu) : Ahura Mazda, Apollon, Balder, Belenos, Hélios, Horus, Ra, Surya, Vishnu... D’où une fréquente association du masculin à la lumière, de nombreuses divinités masculines ont personnifié la force solaire. Ces dernières illustrent à la fois la bienveillance, la protection, la conscience mais aussi l’intégrité et la quête de l’idéal.

Dieux lunaires : Chandra, Mani, Sinn, Thoth, Tsuku-Yomi, Varuna... Dans une optique moins reconnue, nous pouvons retrouver des divinités masculines liées au satellite de la Terre (voir la fiche «divinité» de ce numéro). A l’image de Thoth, ces déités ont intégré la force féminine, accédant ainsi à de nouvelles capacités (le plus souvent étrangères aux autres dieux).

 Le magicien : Dagda, Enki, Gwion Bach, Gwydion, Hermès, Merlin, Nuada, Odin, Ogma, Xolotl... Ici ces êtres mythiques transforment et transmutent la matière, devenant leur propre alchimiste. A nouveau, la plupart d’entre eux sont initiés à la puissance du féminin (Gwion Bach suçant malencontreusement les trois gouttes tombées sur son pouce, provenant du chaudron de Cerridwen ; Odin initié au Seidr2 par Freyja ; Dagda lié au chaudron etc). Les magiciens représentent souvent la quintessence des divinités masculines car, tour à tour, ils incarnent chaque facette des autres divinités. Ce sont aussi les intermédiaires divins avec les différents plans de réalité.

Le trickster : Enki, Hermès, Krishna, Legba, Loki, Maui, Pan, Seth, Susanoo... En complément du magicien, nous retrouvons une part plus «sombre», celle du filou, du «joueur de tour». Tantôt gentil plaisantin, tantôt sadique et machiavélique, le trickster n’hésite pas à user de toutes les ficelles pour arriver à ses fins. Amoral à souhait, il nous pousse dans nos retranchements pour sauver la situation au dernier moment. A sa façon, ce type de déité se révèle un puissant initiateur, forçant les êtres auxquels il fait face à remettre en cause leurs croyances et à changer du tout au tout.

Dieux des morts et de l’autre monde : Ahriman, Anubis, Arawn, Hadès, Hodur, Nergal, Osiris, Shiva, Xolotl, Yama... Souvent craints, ces divinités masculines incarnent la destruction, la fin, l’autre monde. Pourtant, elles complètent le cycle de la vie, illustrant la nécessité du changement. Ces êtres sont confrontés à leur ombre. A l’instar de ceux qui se sont ouverts à la force féminine, ils deviennent capables d’évoluer dans d’autres dimensions. Ils nous apprennent à vivre pleinement nos morts initiatiques et quotidiennes pour évoluer et acquérir une nouvelle conscience.

Le sauveur sacrifié : Bran, Dionysos, Jésus, Mithra, Osiris... Crucifiés, coupés en mille morceaux, certains ont la vie dure dans la gente divine ! Au-delà de se sacrifier pour la bonne cause, ils illustrent la capacité à mourir et renaître au monde. Le voyage dans la mort est telle une quête chamanique, la traversée de l’ombre pour atteindre la lumière d’une conscience élargie. 

Le fils lumineux : Adonis, Agni, Apollon, Bacchus, Balder, Bouddha, Hermès, Horus, Janus, Jésus, Krishna, Lugh, Mithra, Zeus... A l’image des sauveurs sacrifiés, ces déités incarnent l’énergie talentueuse, l’idéal. Dans un contexte tyrannique, ils naissent et vivent pour contre balancer la tendance, amener l’équilibre. Ces êtres symbolisent la lumière et la pureté, l’intégrité et la vertu.4

L’énergie masculine

«Tous les dieux sont morts.» (Nietzche)
A notre époque, dans la culture occidentale, en dehors des cercles païens et de quelques traditions campagnardes irréductibles, la plupart des divinités, qu’elles soient masculines ou féminines, ont été reléguées au rang de l’imagination. Toutefois, comme le souligne Joseph Campbell, «la pensée contemporaine admet sans peine que le symbolisme de la mythologie possède une signification psychologique».

Ainsi, que l’on soit païen ou non, travailler avec l’énergie masculine par le biais de la mythologie est à la portée de nombreuses personnes. Au-delà des débats concernant l’essence des divinités (des humains ou des êtres ayant existé ; des archétypes liés à la psyché humaine ; des forces, des énergies ou des esprits personnifiés, etc), les déités masculines peuvent à la fois être perçues comme des hommes et comme une personnification de l’énergie, du principe masculin. La quête du masculin, dans sa dimension personnelle et sacrée concerne donc autant les hommes que les femmes. «La masculinité est un archétype, et non un sexe» disait Maureen Murdock.

Pour mieux comprendre cet archétype et comment y accéder, on peut distinguer une évolution se déroulant en trois étapes.


A l’ombre de la Déesse : le fils-amant
Cette première étape correspond au culte de la Déesse-mère, période où femmes et hommes sont tournés vers le principe féminin. Les deux genres sont respectés et appréciés mais le masculin, tout comme les hommes, tient un rôle secondaire, celui du compagnon. Le féminin est tout puissant, il prend et donne la vie (illustré tantôt par un aspect bienveillant, tantôt par un aspect dévorant, telle Tiamat). Le masculin le révère, sans prendre conscience de son propre potentiel. S’ensuit une relation fusionnelle où le fils-amant demeure bienheureux mais inerte. Sa seule distinction s’opère en devenant le rival du père.

Sur un plan plus classique, cette étape correspond à l’enfance, à l’individu qui refuse de grandir et souhaite continuer éternellement de vivre dans un état béat d’insouciance (complexe de Peter Pan).

L’opposition : l’adolescent rebelle
Vient ensuite le temps où le masculin ressent le besoin de mieux se connaître, d’accéder à ce qu’il sent manquer – autrement dit la connaissance de lui-même. A ce stade, il y a coupure du cordon. Pour se découvrir, il quitte le féminin et quitte ainsi l’état de bien-être que ce contact lui procurait. Ce faisant, il refuse l’état de serviabilité et de soumission inconsciente. Le risque de cette différenciation est bien sûr le rejet (temporaire) du féminin. Même s’il connaît la tourmente, le masculin découvre enfin l’autonomie et se révèle peu à peu lui-même. Il est ainsi confronté à son ombre, à ses paradoxes, ses doutes et ses désillusions.

Le passage à l’âge adulte : la naissance du sage
Au troisième stade, le masculin comprend que l’équilibre et le plein épanouissement ne peuvent être atteint qu’en compagnie du féminin. Après avoir fait l’expérience de sa différence, il s’ouvre à nouveau à sa force complémentaire. Cette fois non plus avec la dévotion soumise du fils-amant mais avec l’amour et la bienveillance engendrés par la compréhension de soi.



Cette évolution en trois étapes du principe masculin recoupe des conceptions similaires, présentant un cycle évolutif. Ainsi, à un niveau psychologique, on retrouve la quête du héros avec les personnages successifs : la victime, le bourreau, le sauveur, la fin du jeu : le sage. Chaque personnage peut ainsi être une étape pour accéder à la compréhension globale et au dépassement des rôles.

Pour plus d’informations, le site officiel de la philosophe : http://www.paulesalomon.org/

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire