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lundi 17 octobre 2016

La face féminine de l’âme


L’apparente mise à l’écart du féminin dans la tradition, puis sa résurgence épisodique, doit être comprise sur deux plans. D’une part celui du cheminement psychologique de l’âme individuelle vers sa complétude, d’autre part celui du développement de la conscience religieuse de l’humanité. Or, sur ces deux plans, le refoulement – temporaire - du féminin correspond à une réalité, à une phase naturelle. L’âme humaine, la psyché de l’homme comme de la femme, possède deux pôles, l’un correspondant à des qualités symboliquement féminines, comme l’intuition ou la sensibilité, l’autre à des qualités symboliquement masculines, comme la logique ou la construction. Cette dualité, qui recouvre en partie aussi celle de l’inconscient et du conscient, on la voit notamment exprimée dans la lune et le soleil qui brillent à l’Orient, ou dans les deux colonnes à l’Occident. L’équilibre entre ces deux pôles est le fondement de l’être, leur harmonie est son accomplissement.




Mais une fois incarnés dans le monde, revêtus de leur sexe physique, l’homme et la femme doivent chacun assumer cette identité. Il leur faut avant tout, dans leur existence et leur conscience, mettre en valeur le pôle masculin ou féminin qui correspond à leur sexe. Il s’ensuit que la partie complémentaire de l’être qui ne s’identifie pas au sexe reste largement dans l’ombre, refoulée le plus souvent dans l’inconscient. Cette face cachée est ce qu’on appelle l’anima ou l’animus. L’anima est la face féminine de la psyché de l’homme, l’animus la face masculine de la psyché de la femme.

L’homme et la femme sont ici dans une situation identique, simplement inversée. Toutefois, chez l’être humain, quel que soit son sexe, la conscience et la raison se rattachent symboliquement à l’aspect masculin de la personnalité, alors que l’inconscient et le spirituel se rattachent à son aspect féminin. Or, dans l’évolution naturelle de la personne ou de l’humanité, la conscience et la raison se développent d’abord, au détriment de l’inconscient et du spirituel. Pour cette raison, c’est l’anima cachée de l’homme qui est prise comme modèle général de la part refoulée de l’âme humaine.

Afin de parvenir à la complétude de son être, aboutissement de son destin terrestre, l’humain doit apprendre à découvrir et écouter, aimer et sublimer cette face voilée de lui-même. L’homme doit aller à la rencontre de son anima refoulée, pour la faire renaître de l’obscurité, pour en quelque sorte l’épouser. Il s’agit là d’un passage obligé, car c’est seulement quand l’être parvient à se réunifier, à marier les deux faces de lui-même, qu’il peut accéder à l’accomplissement du Soi, sens et but de sa vie terrestre. Cette union des deux pôles de la personnalité est l’une des étapes du chemin initiatique.

L’image féminine du divin

Le processus psychique et individuel qui précède est dans ses grandes lignes exactement le même que celui suivi par l’évolution spirituelle et collective des religions. Dans son état primitif, l’homme perçoit le divin de façon avant tout inconsciente et naturelle. A l’instar d’Adam et Eve au paradis, les pôles de sa psyché restent équilibrés et il perçoit également de manière harmonieuse les aspects symboliquement masculins et féminins de la divinité. Son univers est encore constellé de dieux et de déesses. Les grandes religions antiques et les traditions primitives de l’Occident faisaient une large place aux femmes dans les rites et accordaient de multiples aspects féminins à la divinité. Dans les religions archaïques, les déesses mères ou de la terre étaient prédominantes. Les panthéons de l’Egypte et de la Grèce comptaient autant de dieux que de déesses, et pratiquement chaque dieu avait pour pendant féminin une épouse ou une soeur, comme Jupiter et Junon, Apollon et Diane. Les triades divines comprenaient très souvent un élément féminin, comme Isis en Egypte, Isthar à Babylone. Même le Yahvé archaïque des hébreux possédait une épouse, Ashéra.

Mais peu à peu la conscience de l’homme se développe; c’est la connaissance du bien et du mal, la chute allégorique. La psyché se dissocie tout comme la perception et la représentation du divin. À partir de cette conscience, de cette dissociation, le judaïsme évoluera vers le monothéisme, l’hellénisme vers la philosophie. Comme la conscience et la raison sont symboliquement masculines, l’inconscient et le spirituel féminins, au fur et à mesure que conscience et raison croissent, la perception du monde et de la divinité qui le gouverne prend des formes de plus en plus masculines. Se renforce ainsi, jusqu’à devenir unique dans le judaïsme, la figure masculine du Dieu père symbolisant l’ordre et la loi, du Dieu céleste qu’il faut craindre. À l’inverse s’estompe jusqu’à disparaître, l’image de la déesse terre protectrice et nourricière, de la déesse mère métaphore de l’amour et de la renaissance. Le christianisme suivra la même voie: le Christ rédempteur est Fils de Dieu le Père; la Trinité est dénuée d’expression féminine; Marie, pourtant «mère de Dieu», en est exclue, alors que le Saint Esprit procède du Père et du Fils. Le modèle divin est une relation père-fils sublimée, la mère et la fille en sont écartées.

Ainsi, psychisme et religion suivent le même chemin. Comme l’homme qui refoule son anima dans la profondeur de son inconscient, la religion évacue la figure féminine de Dieu. Mais dans les deux cas la moitié écartée n’est pas éliminée, elle est seulement occultée. Un certain déséquilibre, une incomplétude en résulte. Situation temporaire cependant, car ainsi que l’homme est voué par sa quête à retrouver son anima, la religion est amenée un jour à laisser transparaître ou à mettre en pleine lumière les éléments féminins qu’elle dissimulait. Tel fut le cas du judaïsme exaltant la Sagesse, puis du christianisme vénérant la Vierge ou idéalisant la Jérusalem céleste.

En d’autres termes, la quête de l’homme face à lui-même et son essor vers la divinité ont le même passage obligé: la rencontre, les noces avec l’Eternel féminin. Pour l’homme psychique, le but sera l’union dans le Soi de sa conscience masculine et de son intériorité féminine, l’anima. Pour l’homme spirituel, le but sera le mariage mystique de l’esprit et de l’âme, ou de l’intelligence et de la sagesse divine, afin que de ces noces naisse l’enfant-dieu de l’amour, l’homme ressuscité à la vraie vie. Si la face féminine de Dieu se dissimule aujourd’hui à nos regards, sous le voile plus ou moins épais dont la recouvre la religion, la tradition et nos symboles, c’est parce qu’elle représente un des buts les plus secrets de la quête intérieure et spirituelle.



Extrait de l’article paru sur http://www.freimaurerei.ch/

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