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samedi 12 septembre 2015

Lorsque les Mères saturent




L’automne nous invite à la récolte des fruits mûrs. Le thème de ce partage invite à la maturité de la maternité. Les témoignages de ces mères évoquent l’ambivalence de l’expérience maternelle, son entremêlât d’émotions, ses déséquilibres et ses enjeux pouvant mener à saturation. Les pistes d’ouverture et de transformation proposées par les auteurs sont diverses et personnelles… Peut-être vous reconnaîtrez-vous ? Osez donc vous laisser inspirer…

« La première chose qui me vient à l'esprit lorsque je pense à la fonction de maman, c'est l'ambivalence : ambivalence essentielle, inéluctable, peut-être ontologique, du sentiment d'amour toujours teinté d'autre chose, crainte, colère, rejet, jalousie, déception… »

Lorsque j'étais médecin dans les services de Protection Maternelle et Infantile, j'avais organisé des rencontres avec les primipares – les femmes qui attendaient leur premier bébé. Et j'amenais toujours à un moment la petite phrase : « Vous savez, quoi qu'il arrive vous serez déçue ». C'était un peu provocateur de le dire comme ça, mais ça ouvrait la parole en autorisant l'ambivalence. Il y a toujours quelque part, avant l'arrivée de l'enfant, une idéalisation à la fois de l'enfant, de soi en tant que mère, et de « comment ça va être après ».

l'arrivée de l'enfant bouscule tout. Bouscule nos hormones, d'abord : on ne se reconnaît plus soi-même ; et effectivement, celle que nous sommes devenues en devenant mère n'est plus celle que nous étions avant d'accoucher, là, juste quelques heures avant. Puis sont bousculés notre système nerveux qui perd ses rythmes de sommeil, puis la sexualité du couple et l'équilibre de la famille toute entière. Il y a une image que j'aime bien, qui représente la famille posée sur un plateau circulaire, lui-même en équilibre sur un ballon, comme au cirque. Introduisez un nouvel élément, tout le monde doit se repositionner, le couple, les autres enfants, les grands-parents…

Tout cela demande beaucoup d'adaptabilité de la part de tout le monde, et la mère se trouve à l'articulation entre ses propres perturbations physiologiques, les besoins du nourrisson, et les grincements adaptatifs de l'environnement : l'élément perturbateur est sorti de son ventre à elle ! Alors, ça ne se passe jamais comme on avait imaginé.

Ça peut se passer bien, mais ça ne sera pas sans au moins quelques renoncements, quelques désillusions, un peu tous les jours. Ça se passera bien si on cultive une bonne capacité à prendre les choses comme elles viennent, comme elles sont, sans les comparer à ce qu'on attendait qu'elles soient, à ce qu'on croit qu'elles devraient être, à ce qu'on imagine devoir faire pour être à la hauteur… Nous avons idéalisé un enfant qui n'est pas ce qu'on imaginait, jamais : il est lui, différent, surprenant, il est sujet, inattendu, existant dans le réel, non conforme au fantasme.
Nous avons idéalisé notre potentiel maternel, qui n'est pas ce qu'on imaginait, jamais : nous sommes désemparées, faillibles, fatigables, capables de sentiments violents, non conformes au fantasme. Nous avons idéalisé le « comment ça va être après » et ce n'est pas ce qu'on imaginait, jamais : il y a tant de nouvelles données, tant d'interférences nouvelles, tant d'imprévus, non conformes au fantasme. Alors, nous risquons de diviser notre esprit : une partie de nous qui s'accroche au fantasme, et l'autre qui cherche à s'adapter à la réalité. La division de l'esprit aggrave la fatigue, fait le lit de la culpabilité, de l'agressivité, des circuits de sentiments parasites. Si l'on n'y prend pas garde, ces sentiments vont nous pourrir la vie pendant des années, et largement contribuer à nous saturer.

La première chose, c'est d'abandonner le fantasme et d'entrer de plain-pied dans le réel d'ici et maintenant, tous sens ouverts, présente à soi et à l'instant. Focaliser ainsi son attention évite de se perdre dans des élucubrations mentales qui ne manquent jamais d'attiser les doutes, les regrets, les rancœurs, la victimisation et les jugements. Et lorsqu'il se présente une vacuité dans l'instant présent : reposez-vous, amusez-vous, jouissez du moment… Même trois minutes. Ensuite, tout ce qui peut nous simplifier la vie psychique est bienvenu.

On ne peut pas forcément simplifier la vie réelle, travailler moins d'heures, changer l'autre... Mais on peut dans sa tête se donner deux ou trois repères forts, s'appliquer à les respecter, et laisser tomber le reste. Parmi ceux qui m'ont aidée avec les enfants : avoir une parole fiable et assumer la responsabilité de mes décisions. C'est un peu de boulot parce que ça demande de bien réfléchir avant de dire oui ou non, ça demande de s'engager à tenir quand c'est dit, de savoir quelle sera la sanction si l'interdit est transgressé, et de ne jamais laisser l'enfant douter que quand il est avec moi, le chef, c'est moi. Mais qu'est-ce que ça simplifie la vie, et quel investissement rentable sur le long terme ! Car l'enfant apprend vite. Je me suis aussi appuyée sur le triptyque de Françoise Dolto : seulement trois interdits absolus dans l'éducation d'un enfant. - Non, tu n'as pas le droit de te blesser ou de te mettre en danger, et je ne te laisserai pas faire. - Non, tu n'as pas le droit de blesser les autres ou de les mettre en danger, et je ne te laisserai pas faire. - Non, tu n'as pas le droit d'abîmer quelque chose qui ne t'appartient pas, et je ne te laisserai pas faire.

Croyez-moi, vous êtes une mère suffisamment bonne si vous vous contentez de ces trois « non », et que vous les tenez. Pour le reste, ce ne sont que des convenances personnelles alors si vous voulez vous simplifier la vie, acceptez de sortir des habitudes familiales ou culturelles, des « qu'est-ce qu'ils vont penser », et laissez l'enfant faire ses expériences. Ayez confiance dans son intelligence, et dans celle de la vie. S'il n'a pas fini son bol de purée, il mangera mieux demain. S'il n'a pas fini de s'habiller à l'heure d'aller à l'école, il ira en pyjama avec ses vêtements dans un sac… Ce n'est pas une menace, c'est juste une information.

Même si ça nous fait passer de temps en temps pour une mère indigne, vraiment, ça ne vaut pas la peine de se gâcher la vie, et de gâcher celle de nos enfants, pour des trucs comme ça. Vivez simplement, au ras des pâquerettes, vous allez voir le miracle ! Un autre petit truc qui aide à ne pas tomber dans les gros pièges : penser à partager les week-ends ou les temps libres de manière équitable : grosso modo, dans l'idée, un quart pour papa tout seul, un quart pour maman toute seule, un quart pour papa et maman ensemble sans les enfants, un quart pour la famille tous ensemble. Il se passe beaucoup de choses dans cette aptitude à prendre du temps pour soi ou pour la vie amicale, à faire confiance à l'autre, à laisser les enfants à des tiers, à renouer des moments intimes pour le couple…

Et puis je vais vous dire un secret : il n'y a rien de pire pour un enfant qu'une mère trop parfaite. Parce que le rôle d'un enfant c'est de quitter ses parents, sa mère en particulier, pour aller faire sa vie ailleurs ; et que le rôle de la mère, c'est de le laisser entrevoir qu'il a intérêt à la quitter. En psycho, la théorie des scénarios montre que l'on mesure la réussite des stratégies de vie à la façon dont les choses finissent. Toute notre présence à l'enfant prend son sens dans le fait de le préparer à nous quitter. Or l'enfant passe la moitié de son temps à s'occuper de grandir, et l'autre moitié à s'occuper de protéger ses parents, et surtout sa mère. Pour que les enfants puissent partir librement un jour, il est important de prendre soin de soi, et de le faire tôt. Lorsque les trois (17, 19 et 23 ans à l'époque) se sont trouvés à quitter la maison en même temps pour leurs études respectives, ils m'ont dit « Voilà, on pense que maintenant, tu es assez grande pour pouvoir te passer de nous ». Alors j'ai bien ri, je savais que c'était gagné.

Même s'il leur est arrivé de me dire « Là, tu sais, ce que tu fais n'est pas ok » ; même s'il m'arrive encore de me dire que je ne referais pas certaines choses de la même façon, qu'ici ou là j'ai été injuste, ou pas assez attentive, ou trop dure, enfin, toujours quelque chose de trop ou de pas assez, comme tout le monde ; je sais que je les ai bien préparés à être des adultes autonomes, à vivre sans moi et sans s'inquiéter de moi. Aujourd'hui je suis grand-mère, et je transmets ces quelques principes simples aux mères désemparées, surmenées, aux prises avec un travail exigeant, une situation familiale compliquée, un corps qui change…

On n'évite pas les moments de doute, d'inquiétude ou d'angoisse, les moments de craquage sont normaux. On les rend moins profonds, moins fréquents, moins douloureux et moins dangereux en se recentrant sur deux ou trois choses vraiment importantes, et en laissant courir le reste. Dans l'espace libéré, il y aura la place pour accueillir le plaisir, l'émerveillement, la gratitude, la joie ; la place pour accueillir l'autre ; la place pour le bonheur. Parce que l'amour ne suffit pas toujours.


Michèle RAULIN auteure de « L'heure du corps, une astrologie de la santé » et de « 30 jours de Lune, symbolisme du cycle soli-lunaire »

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