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vendredi 30 janvier 2015

LA FEMME D’HIER



 
 
Quelles furent, jadis et naguère, les professions les plus enviées par les jeunes Françaises ? Quelles sont-elles aujourd’hui ? s’interroge en 1930 un journaliste du Petit Parisien, qui exhume une enquête réalisée à la fin du XIXe siècle et destinée à cerner les aspirations des élèves de l’époque.




Le travail industriel de la femme, son accession aux professions commerciales ou libérales uniquement exercées autrefois par les hommes, sont le résultat d’une évolution toute moderne, et qui s’est produite surtout depuis la Première Guerre mondiale dans les mœurs et les conditions de la vie sociale, écrit Jean Lecoq dans Le Petit Parisien.

Sans doute, les femmes ont travaillé de tout temps ; mais leur activité se bornait à la pratique de quelques métiers essentiellement féminins, et qui leur étaient, d’ailleurs, strictement réservés. On vous dira qu’au Moyen Age les femmes étaient admises dans certaines corporations qui, plus tard, ne furent ouvertes qu’aux hommes ; qu’il y avait par exemple à Paris, au XIIIe siècle, plusieurs « mirgesses » — femmes médecins — et quelques apothicairesses. C’étaient là de pures exceptions. La grande majorité des femmes, en ce temps-là, ne songeaient guère à envahir les métiers masculins.

Si, au XVIIIe siècle, le féminisme commença à marquer quelques instincts de conquête, ses ambitions furent, par la Révolution d’abord, par Napoléon ensuite, sévèrement réprimées. Les « Grands Ancêtres » n’étaient rien moins que féministes : chaque fois que les femmes voulaient se mêler de politique, ils les renvoyaient à leurs foyers. Quant à l’empereur, on connaît son mot à Mme de Staël : « La femme la plus remarquable, c’est celle qui a le plus d’enfants. »

Bref, c’est seulement dans le dernier quart du XIXe siècle que, timidement, les femmes commencèrent à regarder un peu pus loin que le foyer familial, et les jeunes filles à rêver de quelque profession autre que celles qui, de temps immémorial, étaient réservées au sexe faible.

Les métiers féminins d’hier
Quelles étaient ces professions ? La plus ancienne codification qui existe des statuts industriels, le Livre des Métiers, d’Etienne Boileau, nous apprend qu’au temps de saint Louis les métiers dont la matière première est la soie ou le fil d’or étaient réservés aux femmes. Seuls les femmes pouvaient être « fileresses à grands et à petits fuseaux et tisserandes de soie. »


Au XVe siècle, le plus important des métiers réservés aux femmes est celui de lingère. Paris compte un nombre considérable de travailleuses de l’aiguille, mais c’est là, à peu près, le seul apanage féminin en matière industrielle. Dans la plupart des métiers mixtes, des métiers qui peuvent être exercés par les deux sexes, la femme est toujours subordonnée à l’homme : elle n’a point le droit d’y acquérir le titre de « maîtresse » et doit se contenter toute sa vie de celui de « compagnonne.

Il en fut ainsi jusqu’à la suppression des jurandes et des corporations. Mais bien des femmes n’avaient pas attendu cette suppression pour devenir patronnes ; et au XVIIIe siècle, à Paris, la plupart des maisons les plus estimées dans les industries de la mode étaient dirigées par des femmes. Néanmoins, bien des années encore devaient se passer avant que les femmes songeassent à s’évader des métiers féminins.

Vers 1880, l’autorité scolaire fit, à Paris, une enquête caractéristique à ce sujet. Les institutrices des écoles primaires de la Ville demandèrent à leurs élèves d’indiquer les professions qu’elles avaient l’intention de prendre, et de donner les motifs de leur préférence. Les réponses furent consignées dans un rapport de M. Gérard, alors directeur de l’Enseignement primaire de la Seine.

Or, savez-vous quelle est la profession qui vient en tête de cette enquête, et avec une avance considérable sur les autres métiers féminins ? Eh bien ! C’est la profession de couturière. Près de quarante pour cent des jeunes filles interrogées répondirent que c’était là leur idéal. Et elles donnèrent à leur choix toutes sortes de bonnes raisons : « Il est toujours très utile, pour une femme, de bien savoir la couture », dit l’une ; « Une femme qui ne sait pas coudre n’est bonne à rien », dit une autre. Celle-ci déclare modestement : » Je ne puis parvenir à mieux » ; « C’est mon goût, dit cette autre, et maman me répète souvent qu’on ferait de moi une bonne travailleuse ».

En voici une qui estime que cet état n’est point incompatible avec l’instruction : « J’ai mon brevet de capacité, mais cela n’empêche pas ». Quelques-unes ont donné des motifs plus futiles : « On est toujours sûre d’être habillée à son goût » ; « On n’est jamais si bien habillée que par soi-même » ; « On ne se fatigue pas beaucoup, on reste assise » ; « J’aime mieux faire aller mes doigts que mes jambes ». Enfin, voici la réponse d’une jeune personne pratique : « La façon, aujourd’hui, coûte plus cher que l’étoffe : c’est un bon métier ».

Après l’état de couturière, la profession la plus fréquemment indiquée était celle d’institutrice. Peut-être un certain nombre des fillettes qui s’étaient prononcées en faveur de cette profession voulaient-elles ainsi rendre hommage à leur maîtresse d’école ; il n’en est pas moins vrai que plus d’une réponse témoignait d’une vocation sincère :

« Profession difficile, mais si noble et si belle. — C’est la profession la plus noble. — j’aime beaucoup les enfants. — Je serai utile à mes semblables. — Je serais heureuse de me dévouer. — Je trouve que c’est une grande gloire d’instruire le peuple. — On doit être heureux d’instruire les autres. — Rien ne m’intéressera plus que de voir l’intelligence des enfants se développer peu à peu ».

Puis venait l’état de fleuriste : « Quoi de plus agréable que de pouvoir représenter ces belles fleurs que l’on voit dans les jardins. — J’ai toujours mieux aimé les bouquets que les poupées » ; et celui de modiste : « C’est un métier doux » ; celui de plumassière : « C’est un métier délicat » ; celui de repasseuse : « C’est un métier propre et coquet : on travaille toujours dans le linge blanc ».

Quelques jeunes filles souhaitaient devenir caissières, parce qu’elles avaient beaucoup de goût pour les chiffres. D’autres rêvaient d’être dessinatrices : « N’ayant que six ans, disait l’une d’elles, j’allais tous les dimanches au Louvre, j’admirais les tableaux peints par les grands hommes, et je me disais : « Quand je serai grande, je tâcherai d’imiter tout ce que je vois ».

Quatre voulaient être religieuses ; deux sœurs de charité. Un certain nombre de réponses se répartissaient entre les professions les plus variées : boulangère « parce qu’on aura toujours besoin de boulangers » ; brodeuse : « Avec ce métier-là, on est toujours propre » ; cartonnière, coloriste, compositrice d’imprimerie, confectionneuse, coupeuse, corsetière, dentellière, éventailliste, giletière, graveuse sur or, maîtresse de piano, passementière, peintre sur porcelaine, polisseuse, relieuse, etc.

Deux de ces jeunes personnes exprimaient le désir d’être sages-femmes. Et une seule — oui, une seule, sur sept mille fillettes interrogées — poussait ses espérances jusqu’à vouloir devenir « auteur ». Mais cette demoiselle s’écriait tout aussitôt : « Je sens bien que je suis trop ambitieuse ».

Ce qu’elles souhaitent aujourd’hui

Voilà donc à quoi rêvaient les jeunes fillettes à la fin du XIXe siècle. Imaginez pareille enquête faite aujourd’hui, s’exclame Jean Lecoq en 1930. Quel renversement des vocations !... La profession de couturière qui, jadis, tenait la corde, serait rejetée bien loin derrière les autres ; il en serait de même de tous les métiers manuels exercés uniquement par les femmes autrefois. Et il est fort probable que ce ne serait plus une seule fillette, mais quelques centaines pour le moins, qui caresseraient l’espoir de devenir « auteur » et n’estimeraient pas de leur part cette ambition excessive.


J’imagine que plus d’une penserait plus volontiers à être star de cinéma que giletière ou dentellière, poursuit notre journaliste ; et je crois bien que la profession qui, de très loin, distancerait toutes les autres serait celle de dactylo... Que les temps sont changés ! Avant guerre — nous sommes en 1930 — il fallait, dans tous les métiers féminins, payer son apprentissage : les gains de l’ouvrière étaient minimes, et l’on faisait des journées de dix heures, sans compter les veillées.

L’application des lois sur la protection de l’ouvrière a mis ordre à cela. La journée de huit heures, la semaine anglaise, la suppression des veillées ont modifié heureusement les conditions de travail. Non seulement l’ « arpète » ne paie plus pour apprendre, mais c’est elle qui est payée tout de suite... Et cependant, le recrutement est de plus en plus difficile... Ecoutez plutôt les plaintes des Chambres syndicales de la Couture et de la Mode...

L’aiguille est délaissée, observe Lecoq ; c’est la machine à écrire qui triomphe partout. Le préjugé de la supériorité des professions dites libérales, auquel les hommes ont à peu près renoncé depuis la guerre, semble avoir trouvé un refuge dans l’élément féminin. La modiste, la couturière, si expérimentées qu’elles soient, demeurent des ouvrières ; la dactylo est une manière de petite bourgeoise qui s’imagine, si ses parents furent de modestes travailleurs manuels, qu’elle a monté quelques degrés dans la hiérarchie sociale.

Ainsi va le monde... conclut notre journaliste. Et l’on demeure confondu de voir avec quelle rapidité ont évolué les idées sur lesquelles la jeunesse échafaudait naguère ses rêves d’avenir et ses aspirations.

(D’après « Le Petit Journal illustré », paru en 1930)


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