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samedi 15 novembre 2014

L’ESSENTIEL FEMININ DE TEILHARD


Dès le début du mois de février 1917, alors que Teilhard ébauche un texte important : La Lutte contre la Multitude, il envisage de rédiger quelques pages sur la Pureté et la Charité, qui développeraient ce qu’il ne fit qu’effleurer dans le Milieu Mystique (juillet-août1917) et dans l’Union Créatrice (octobre-novembre 1917). Dans une lettre à sa cousine Marguerite Teilhard (Claude Aragonnès), il écrit :

 « Un des mystiques les plus intéressants à étudier à mon point de vue, serait précisément le Dante, si féru et si passionné du Réel. Je crois en tout cas,, que peu d’exemples font mieux comprendre ce qu’est l’agrandissement (jusqu’à l’Univers )du sentiment alimenté par un objet particulier (et de cet objet même)que Béatrice… »

Peu à peu il aperçoit que l’amour, d’une part est la conscience d’un besoin d’unification et d’autre part, paradoxalement que la Chasteté pose tout le problème de l’amour jusque dans ses dimensions cosmiques.

C’est au début du mois de mars 1918 qu’il commence à composer et construire des esquisses préparatoires au texte dont la rédaction inaugurée le 19 mars sera symboliquement terminée pour le jour de la fête de l’Annonciation, le 25 mars.

La forme littéraire qu’il adopte enfin déroute le lecteur. Après avoir hésité entre la forme dissertative et l’exploitation abstraite d’un symbole, il entend, de manière concrète, faire appel au féminin non comme à un Principe neutre mais comme une Perfection réalisée dans un être personnel : la Vierge Marie .Celle-ci , vraie Déméter, est bien la Perle du Cosmos, Mère de toutes choses , par elle le féminin fleurit et se révèle l’élément attractif cosmique. Et s’il s’adresse à « Béatrix, la Vierge voilée » (et non Béatrice, malgré la référence explicite à Dante), c’est qu’il ne s’agit pas d’une jeune femme précise mais d’un symbole qui voile et dévoile, tout ensemble une Personne , quant à elle bien concrète , Marie , dans laquelle le féminin trouve se plus haute réalisation et à travers laquelle le Christ se manifeste .

Le 15 mars Teilhard s’est arrêté au titre définitif : l’Eternel féminin et a choisi enfin de traiter le texte au moins partiellement comme une paraphrase très large de la Sagesse biblique.

Divisé en deux parties l’Eternel Féminin déroule, un peu comme chez Claudel, l’immense octave de la création sous la forme de vers libres distribués en versets. Ode poétique, thème et variations, poème symphonique plutôt. Teilhard décline les « notes » du féminin.

Dans la première partie :
- l’Essentiel Féminin
- l’Universel Féminin
- l’Attrait Féminin.

Dans la seconde partie :
- la Virginité
- l’Idéal Féminin
- la Vierge Marie
- l’Eternel Féminin.

Fresque d’abord cosmologique et métaphysique, le texte met en valeur un double processus ascensionnel de sublimation et de personnalisation. D’allure platonicienne et néoplatonicienne, la réflexion épouse à la fois un mouvement d’émanation et de retour à soi d’un Principe Universel afin d’entrelacer ainsi « Epiphanie » et « Diaphanie » proprement Christiques.

La première étant celle du corps de chair animé par le Verbe, la seconde celle du Corps Mystique du Christ né de l’Eglise .Marie enfantant l’Un se retrouve Mère d’une Multitude, l’Eglise enfantant une Multitude devient par là Mère de l’Unité.

 « Placée entre Dieu et la Terre comme une région d’attraction commune, je les fais venir l’Un à l’Autre, passionnément..

.. Jusqu’à ce qu’en moi ait lieu la rencontre où se consomment la génération et la plénitude du Christ à travers les siècles.

Je suis l’Eglise, Epouse de Jésus - Je suis la Vierge Marie, Mère de tous les humains..»

La structure du texte,  finalement complexe, articule de nombreuses analogies. Le procédé, qui repose sur des présupposés métaphysiques (d’ailleurs classiques) permet de passer d’un degré d’être à un autre, d’une note du féminin à une autre, sans simplification, ni réduction à l’homogène ou à l’univoque. Qu’il s’agisse du moléculaire, de l’organique, du Vivant ou de l’humain, un même « travail »est à l’œuvre, enfantement mystérieux qui révèle une Présence illuminative, celle du Féminin. Ainsi ce poème dont le statut hésite entre métaphysique, cosmologie, psychologie et mystique présente-t-il deux dimensions fondamentales :

- il est d’abord et avant tout une érotique ou si l’on veut une énergétique de l’amour
- mais il est aussi une sophiologie indissociable d’une mariologie et d’une ecclésiologie.


Extrait de A L’AUBE DE L’HUMANITE Par Jean Bernard Cabanes

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