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vendredi 7 novembre 2014

Fleurs de Femmes


Le sexe de la femme reste un sujet tabou. Avons-nous jamais regardé, pas seulement “vu”, mais vraiment “regardé”, en chaussant ses lunettes, avec attention et amour, le sexe d'une femme, les dentelles des petites lèvres, les encorbellements de la vulve, les mystères de l'infiniment petit ? Certes, la culture nous enseigne généralement que les sommets de la séduction sont voilés, que l'érotisme s'épanouit mieux dans la pénombre et que les plus hautes jouissances ne s'obtiennent pas forcément en fixant le sexe de l'autre comme on regarde un visage, une bouche ou des yeux. Mais sur son parcours singulier, René Minosa a découvert combien cette subtilité (réelle) masque aussi un déni.
Les femmes elles-mêmes, souvent, ne connaissent pas la partie la plus délicate de leur anatomie. Dès qu'il est question du sexe féminin, nombreuses sont celles qui ont tendance à en éprouver gêne, embarras, voire honte, parfois sous couvert d'indifférence. Quelles que soient ses réactions, l'attitude négative d'une femme vis-à-vis de son sexe déteint plus ou moins inéluctablement sur sa vie sexuelle et amoureuse - la honte, tout comme l'indifférence, engendrant l'inhibition. La grande surprise de René Minosa sera de découvrir que des photos telles que les siennes peuvent guérir ces inhibitions ou ces blessures, en procurant aux femmes ainsi admirées le sentiment d'être reconnues, respectées et aimées, jusqu'au plus profond d'elles-mêmes - à l'endroit même où la vie les avait conduites à culpabiliser. Comme si, paradoxalement, les personnes au sexe offert à l'objectif parvenaient par ce biais à cesser d'être des objets, habitées par le sentiment de s'être réapproprié une part importante de leur corps et par résonance, de leur sexualité. Pour certaines femmes, cette revalorisation va tout bonnement transformer leur vie et celle de leur partenaire. “Mon regard, sous-entend l'homme, n'est pas seulement celui du désir, c'est aussi celui de l'émerveillement, de la tendresse et de l'honneur.”
Pendant plus de vingt ans, photographier des sexes de femmes fut pour René Minosa un jardin secret. Une exploration intime, menée avec plaisir et émerveillement, mais aussi mue par une réminiscence confuse, une nécessité profonde et mystérieuse qui le surprenait lui-même.
Le noir et blanc s'était immédiatement imposé. Comme si la confrontation abrupte avec “l'origine du monde” ne pouvait révéler son enivrante beauté et sa luxuriante variété qu'à partir d'un minimum d'abstraction. Peu à peu se constitua ainsi la cartographie d'une galaxie étonnamment mal connue, avec ses étoiles, ses planètes, ses paysages, ses myriades de formes de vie, des plus exubérantes aux plus endormies, des plus tendres aux plus drues. Et tout cela jaillissait chaque fois d'entre les jambes d'une femme ! La zone humaine sans doute la plus présente, ou la plus marquante, dans les têtes, les cœurs et les discours des humains, mais aussi, malgré toutes les “révolutions sexuelles” du monde, la zone la plus interdite.
Alors que René hésitait encore devant cette obsession fascinante, c'est son ami le magicien dramaturge Alexandro Jodorowski qui l'encouragea à franchir le pas décisif. “Exprime ce que tu ressens sans te soucier de ce que les gens en penseront !” Ce fut comme une autorisation. Renédécida non seulement de continuer à prendre des photos, mais désormais de les sortir de ses tiroirs et de les montrer.
S'enclencha alors un processus quasiment thérapeutique. Pour le photographe, mais aussi - et cela devint bientôt essentiel - pour les femmes photographiées. René se mit en effet à tirer les “portraits” d'autres femmes que ses compagnes. Des femmes qu'il ne connaissait pas toujours. Elles avaient simplement vu quelques-unes de ses images et, bouleversées, désiraient à leur tour être photographiées ainsi, au cœur d'elles-mêmes. La beauté des images qu'elles découvraient leur donnait confiance et libérait leur curiosité naturelle. Comme si se révélait là, spontanément, une forme de démarche initiatrice. Un “Enseignement”.
Le travail de René Minosa est resté longtemps son “jardin secret”. Underground volens nolens. Mais voilà soudain que sa quête semble en rejoindre d'autres, fort semblables. Par exemple celle du gynécologue français Gérard Zwang qui, dans son remarquable ouvrage sur Le sexe de la femme , dit tout ce qu'un homme ou une femme éclairés devraient savoir...
Aux États unis, des thérapeutes sensibles, tels Joani Blank ou Harriet Goldhor Lerner, prennent la question sous un jour linguistique, remarquant entre autres que le sexe de la femme a toujours été désigné par le mot "vagin", ce qui est gravement réducteur et fait dire à Lerner : “En apprenant à nos petites filles qu'il faut appeler leur partie génitale un "vagin", nous pratiquons une sorte de mutilation psychique. Le langage peut-être aussi puissant que le bistouri d'un chirurgien. Ce qui n'est pas exprimé n'existe pas.”
Au même moment, Eve Ensler publie Les Monologues du Vagin , qui deviennent une pièce de théâtre à succès dans tout l'Occident. Des dizaines de femmes de toutes conditions, couleurs, croyances, y parlent de leur sexe de façon merveilleusement crue et vraie. “Au début, raconte Eve Ensler, les femmes interrogées hésitaient toujours à parler. Mais une fois parties, on ne pouvait plus les arrêter.”
Pour couronner ce désir collectif d'authenticité et de libération le “V-day” (journée du vagin), initié aux Etats-Unis puis repris dans le monde entier, devient une véritable commémoration de la femme, soutenue aussi bien par la mouvance féministe que par celle des droits de l'homme.
Bref, René Minosa voit son travail soudain s'inscrire dans un mouvement étonnamment vaste, qui fait évoluer les femmes... et les hommes. Travail de dévoilement. Travail d'écoute. Travail de restitution du corps - l'habeas corpus entendu de la pointe du clitoris au portail de l'utérus.
Mais comment accéder directement à soi-même - et à l'autre - sans que la médiation culturelle ne vienne immédiatement tout parasiter ? Très ancienne et noble question tantrique, à laquelle fort peu d'humains savent répondre. Mais le filtre de la connaissance peut aussi jouer en faveur de l'érotisme et de l'élévation de conscience... Ainsi, les fleurs, nous disent les botanistes, sont des sexes - et même les premiers sexes inventés au croisement du Ciel et de la Terre ! Inversement, les sexes sont évidemment des fleurs...
Les Fleurs de Femmes photographiées par René Minosa portent admirablement leur nom. Fleurs marines, anémones nacrées et rubans d'algue ondulant.
Fleurs alpines, pétales offertes au délice du soleil. Fleurs tropicales, pistil rayonnant dans un chavirement des sens. Fleurs de dune, protégeant leur humidité d'un écrin bombé. Toutes révèlent à qui sait voir que la porte de l'amour - et de la naissance - est immensément belle. Et qu'il faut être fou, bétonné dans la peur, pour refuser ce don somptueux de la nature.
Réconciliant le cœur et le corps de l'humain par un éveil de la femme à sa propre existence, et de l'homme au regard qu'il pose sur celle-ci les images de René Minosa, amant éperdu des senteurs primordiales, constituent un sublime hommage à la Femme, à la Mère. Un cri d'amour, plein de ferveur et de piété.


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