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mercredi 23 juillet 2014

Diversité des situations féminines


Le poids du quotidien dans la diversité des situations Féminines

Les discours et les images ont imposé La Femme sur piédestal, la Madone, la Muse, l’Allégorie… Mais la diversité des situations réelles est considérable, marquée par la diversité sociale. Le piédestal et le singulier sont trompeurs.


- Bourgeoises
Au temps de la bourgeoisie conquérante, le mode de vie de la bourgeoise est triomphant et s’impose comme modèle à approcher, diffusé par nombre de manuels, très subdivisé par de subtiles hiérarchies, très contrôlé par le confesseur et le corset : « L’invalidation sociale se manifeste d’abord par une invalidation physique ». Jamais oisive, levée tôt, elle est la maîtresse d’une maison qui doit être un havre de repos pour le guerrier du capitalisme ou de la vie politique, le nid où grandissent les enfants nourris de saines valeurs, le lieu de représentation de la réussite de la famille, agrémenté de miettes d’arts consensuels. Elle assure la gestion et le contrôle de tout : propreté de la maison, propreté du linge, courses, qualité des repas, tenue des comptes et surveillance des dépenses, tenue et éducation des enfants (sa tâche principale). Le nombre des domestiques indique le statut social.

La richesse et la qualité des toilettes sont une autre marque de ce statut, et permettent aussi d’afficher la réussite du mari. Les éducateurs religieux ne manquent pas d’être préoccupés par la frivolité ainsi développée chez les jeunes filles. Les bourgeoises entretiennent par leurs visites (codifiées), leurs réceptions, leurs apparitions mondaines aux spectacles, un réseau de sociabilité qui doit étayer la réputation et l’activité de leurs maris : la sphère privée n’est donc pas si hermétique que la théorie ne l’affirme. L’inscription dans la cité se fait également par des activités charitables et philanthropiques, qui peuvent leur donner quelques connaissances de la société. Il y a un espace public des femmes aisées : l’église, le salon de thé, les commerces (puis les grands magasins), les bonnes œuvres…

Sur l’ensemble de la population française, ce mode de vie concerne, bien sûr, un pourcentage de femmes très limité. Les autres continuent à apporter, comme elles l’ont toujours fait, une lourde contribution à la production et au fonctionnement de la société.

- Paysannes
Elles ont été et sont toujours paysannes, de beaucoup les plus nombreuses de la population active. Celles-ci assurent, au cours d’une très longue journée de travail, très étroitement liés, les tâches de femme au foyer (souvent nourrices de surcroit) et des travaux spécifiques à l’exploitation agricole. Le couple est indispensable au bon fonctionnement de la ferme. Mais les travaux féminins pour être nécessaires et rudes ne sont pas valorisés pour autant.  

Elles sont encore, comme avant, et même plus nombreuses du fait de l’urbanisation, couturières, blanchisseuses, commerçantes, domestiques… De plus, désormais, l’industrialisation puise dans le réservoir de main d’oeuvre constitué par les campagnes surchargées. C’est alors que, parallèlement, le «problème du travail des femmes» fait couler beaucoup d’encre.

- Ouvrières…
Les mines embauchent des femmes, malgré leur faiblesse «naturelle» proclamée ; à partir de 1860, elles ne travaillent cependant qu’en surface. Le textile fait beaucoup appel à la main d’œuvre féminine, souvent jeune et célibataire, pour des salaires dérisoires, dans de très mauvaises conditions d’hygiène et d’horaires. Les employeurs comptent sur les qualités «naturelles», adresse et endurance, (qualifications acquises de fait). La nouvelle industrie sexue les matières et les techniques, dans le prolongement des tâches traditionnelles.

Plus souvent qu’auparavant, peut-être, elles quittent donc leur domicile pour le travail : ainsi celui-ci est plus visible. Dès lors, désormais il fait «problème». C’est le cumul du travail salarié extérieur avec les tâches domestiques qui est objet de débat bien plus que les très faibles salaires octroyés. «Une femme qui travaille n’est plus une femme» (Jules Simon). L’industrialisation arracherait les femmes à leur foyer, jetant les enfants à la rue… L’homme est censé nourrir la famille (obligation inscrite dans le code civil) et doit gagner un salaire familial. Les femmes ne peuvent gagner qu’un salaire d’appoint, elles ont peu de besoins et ne peuvent apporter qu’une aide provisoire avant la venue des enfants ou la petite enfance passée. D’ailleurs elles sont des «travailleurs imparfaits». Flora Tristan s’indigne de cette position qui nie l’existence des femmes seules réduites à la misère voire à la prostitution. Les ouvriers souhaitent leurs femmes au foyer, ménagères, et non dans des lieux de promiscuité, soumises aux ordres d’un homme. Pour Proudhon, l’alternative est : « Courtisane ou ménagère ». L’honneur d’un homme est en jeu s’il ne peut suffire à nourrir sa famille. Les femmes seraient de plus des concurrentes déloyales, ce qui est rarement vrai, car les emplois masculins et féminins se chevauchent peu. « À l’homme le bois et les métaux. À la femme, la famille et les tissus ». Dans les milieux de l’Internationale, les réticences du mouvement ouvrier au travail des femmes s’expriment avec fermeté.

Les travaux à domicile, qui respectent le partage social des rôles et des espaces, ne suscitent pas ces résistances et les difficultés écrasantes de la double journée sur place ne sont jamais évoquées.

...ou ménagères ?
Toutes les femmes des milieux populaires sont, bien sûr, ménagères, et pour beaucoup, ainsi que pour leur compagnon, répondre à cette seule définition est un idéal. Responsables du bon fonctionnement de la famille (courses, cuisine, soins aux enfants, entretien et fabrication des vêtements, lessive…) elles ont une lourde tâche mais un rôle majeur et un important pouvoir de gestion : la compensation n’est pas négligeable. Les logements sont petits et peu salubres, mais la rue, le marché, le lavoir sont des espaces de circulation et de rencontre.

- Courtisanes et prostituées
Aux yeux de l’opinion quasi-générale, théorisée par l’ouvrage de Parent-Duchâtelet, paru au début de la Monarchie de juillet et qui fait référence tout au long du siècle, la prostitution est un fléau nécessaire comme les égoûts. Sinon jeunes filles et épouses seraient en grand danger... Un certain nombre de filles ont des prédispositions à la débauche (la condition sociale est peu évoquée) : elles sont indispensables, elles ont une fonction dans la société, mais elles sont dangereuses physiquement, moralement, socialement. Il faut donc les séparer, les surveiller, les soumettre à des règlements spéciaux, à des contrôles non moins spéciaux et arbitraires de la brigade des mœurs : c’est le réglementarisme. Il est encore mieux qu’elles soient enfermées dans des maisons closes : somptueuses ou misérables, leur hiérarchie se calque sur la hiérarchie sociale.

- La femme pauvre
On ne s’étonnera donc pas qu’au cours du XIXe siècle s’impose progressivement le problème de « La Femme pauvre », mis en forme par Julie-Victoire Daubié en 1866. Aux marges des classes moyennes, la femme seule, sans «protection», est dépourvue de tout moyen de subsistance si elle n’a pas eu accès à l’éducation. La situation est pire que sous l’Ancien Régime, pense l’auteure, car des solidarités se sont défaites. Elle propose une vaste enquête sur les bas salaires féminins, (selon Michelle Perrot, « elle est la première à avoir fait des femmes un objet d’investigation et à montrer la spécificité de la pauvreté féminine »). Elle estime qu’il y a une rareté plus grande des métiers désormais accessibles et fait un vigoureux plaidoyer en faveur de l’éducation féminine. C’est une des voix féminines qui traversent ce XIXe siècle.
Nous pouvons en discuter sur " La Vie Devant Soi "


Source : Une Histoire des Femmes - Chapitre 3 A

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