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dimanche 8 juin 2014

LA PRÉSERVATION DE LA VIRGINITÉ


La question du mariage à Kesra (ville du centre-ouest de la Tunisie située sur la bordure nord de la dorsale tunisienne) commence avec celle de la sauvegarde de la virginité et de la préservation de l’honneur, qui repose sur la vertu des filles jusqu’à leur mariage. Cette importance accordée à la virginité s’accompagnait encore récemment d’un rituel spécifique, chargé d’aider la jeune femme à préserver son honneur et celui de sa famille : le rituel du tasfih. Il s’agit d’une protection surnaturelle de la virginité par la suppression de ses capacités sexuelles et l’impossibilité de sa défloration. Accompli sur les petites filles avant leur puberté, l’effet de ce rituel devait bien entendu être annulé le jour du mariage afin de ne pas empêcher sa consommation.


A Kesra, ce rituel était pratiqué selon deux formes, l’une mettant en scène le métier à tisser, tasfih bil mensej (à l’aide du métier à tisser), l’autre à partir de la scarification du genou. Selon la première forme de tasfih, la jeune fille, aidée de sa mère ou d’une de ses tantes, devait enjamber sept fois le métier à tisser en mangeant sept raisins secs et en prononçant la formule « je suis un mur, il est un fil ». Ensuite, la femme qui l’accompagnait coupait un des fils lisses du métier à tisser, appelé ennira, et mesurait la taille de la jeune fille de la tête aux pieds. La mère devait alors conserver soigneusement ce fil jusqu’au jour du mariage, afin de pouvoir défaire le tasfih. La veille du mariage, ou le jour-même, la mère de la jeune fille devait sortir le fil ainsi conserver, le placer dans un bol et le brûler. Puis, elle devait donner à sa fille, un verre d’eau dans lequel était dissoutes les cendres. Cette dernière devait alors prononcer la phrase inverse : « je suis un fil, il est un mur ».


La deuxième méthode consiste à inciser le genou de la jeune fille en prononçant les paroles inaugurales « bismillah er’rahmen errahim » (Au nom de Dieu le miséricordieux). Le nombre des incisions devait être impair (trois, cinq ou sept), et pour chacune d’elle l’opératrice imbibait un raisin sec ou un morceau de sucre du sang coulant de l’entaille. Comme pour le rituel du métier à tisser, cette dernière devait prononcer la formule « Je suis un mur, il est un fil ». Ensuite, la mère les conservait jusqu’au mariage, pour que la jeune mariée puisse les consommer en énonçant la formule inverse et annuler les effets du tasfih. De nos jours, bien que cette pratique ait fortement diminuée, elle est toujours usitée.

NOTA : Par le biais d’actes circonstanciés et de paroles magiques, le tasfih protègerait en toute situation les jeunes filles tunisiennes d’un contact sexuel et assurerait par là même leur virginité prénuptiale. Une enquête de terrain réalisée en 2001 révèle un rituel quelque peu facétieux, qui à n’en point douter préserverait vertu, mais dans le même temps permettrait licence. Les matériaux de cette enquête, recueillis et présentés à un public aussi divers que médecins, journalistes, politiques ou bloggers tunisiens, vont faire l’objet de réactions inattendues, cristallisées autour d’une interrogation lancinante : « Est-ce que ça marche ? ». Un retour réflexif sur ces réactions et sur le terrain initial permet d’interroger les manières de faire et de dire les sexualités, ainsi que leur portée heuristique pour l’analyse et la compréhension des contradictions de la Tunisie contemporaine.


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